Jean-Michel Caroit, correspondant du journal Le Monde Octobre 2012

Bonjour à toutes et à tous depuis Saint Domingue. Merci a Kevin, à Olivier Dabène et au CERI d’avoir pris l’initiative d’organiser ce colloque débat sur un pays qui mérite d’être mieux connu. Je ne reviendrai pas sur les fondamentaux brillamment exposés par l’ami Christian Girault. Permettez moi de vous faire part d’une série d’observations sur les développements récents en ma qualité de correspondant de presse basé en République dominicaine.

Dans un article publié le mois dernier, l’intellectuel dominicain Andrés L. Mateo qualifie l’ex-président Leonel Fernandez de prince du simulacre. « Leonel Fernandez, écrit le romancier et essayiste, a multiplié par trois la dette en huit ans, il a maintenu des emplois fictifs au profit de plus de 18.000 militants de son parti de la libération dominicaine, il a laissé la corruption prospérer comme élément de cohésion autour de son leadership, il a dépensé des millions de dollars en voyages pour alimenter son ego et pourtant il s’est construit l’image d’un leader mondial », dénonce Andrés L. Mateo, prix national de littérature en 2004.

Sans nul doute, Leonel Fernandez a séduit la grande majorité de ses interlocuteurs sur la scène internationale. Ses propos raisonnés, son ton professoral, ont rassuré ses pairs et les investisseurs étrangers à qui il se présentait comme le garant d’une forte croissance accompagnée d’une impeccable stabilité macroéconomique.

De fait, la croissance de l’économie dominicaine est restée l’une des plus fortes d’Amérique latine et des Caraïbes au cours des vingt dernières années. Malgré la crise internationale, elle a atteint 4,5% en 2011 et ne sera que légèrement inférieure cette année.

Mais cette forte croissance n’a pas permis de faire reculer la pauvreté. Derrière les plages bordées de cocotiers qui attirent plus de 4 millions de touristes par an, plus de 40% de la population vit toujours sous le seuil de pauvreté.

Les taux de mortalité infantile et d’exclusion scolaire sont parmi les plus élevés de la région. Les inégalités se sont creusées entre les masses appauvries des campagnes et des bidonvilles et la caste liée au pouvoir qui exhibe des richesses souvent mal acquises.

Quant à la fameuse stabilité macroéconomique, le mythe a volé en éclats depuis que Leonel Fernandez a quitté le palais présidentiel, le 16 août dernier. Son successeur Danilo Medina, qui appartient au même parti que Leonel Fernandez, a récemment reconnu qu’il héritait d’une situation économique très délicate.

Les membres de son équipe économique, les mêmes que sous Leonel Fernandez, ont admis que le déficit public consolidé avait explosé, atteignant 8% du produit intérieur brut. Les coupures de courant, moins fréquentes durant la campagne électorale, se sont à nouveau intensifiées. Face au déséquilibre des finances publiques, Danilo Medina a fait appel au Fonds monétaire international.

Une mission du FMI s’est rendue à Saint-Domingue en septembre et n’a pu que constater la gravité de la situation en raison de l’ampleur du déficit fiscal et des pertes du secteur électrique, supérieures à 100 millions de dollars par mois. L’éventuelle signature d’un accord avec le FMI, qui permettrait d’obtenir de nouveaux crédits, a été reportée à l’année prochaine et devrait être accompagnée de strictes conditions.

En attendant, Danilo Medina a annoncé un pacte fiscal, euphémisme désignant une forte hausse des impôts, notamment de l’ITBIS, la TVA locale. Elle devrait augmenter de deux points, de 16 à 18% et être étendue à des produits de consommation courante jusqu’ici exemptés.

Ces mesures sont mal accueillies tant par les milieux d’affaires que par la population. Alors que la République dominicaine est championne du monde de la corruption et de la mauvaise gestion des deniers publics, selon le dernier classement du Forum économique mondial de Davos, ils exigent le châtiment des corrompus du gouvernement précédent ainsi qu’une réduction et une rationalisation de la dépense publique avant d’être mis à contribution.

Les organisations populaires regroupées au sein du Forum social alternatif ont exigé que l’ex président Leonel Fernandez soit traduit en justice pour sa responsabilité dans l’explosion du déficit fiscal. « Les coupables doivent payer les pots cassés, le peuple n’a pas à payer de nouveaux impôts », a lancé Victor Geronimo, porte parole du Forum social alternatif. Il a annoncé des manifestations et des grèves.

Déjà, au cours des dernières semaines, des mouvements de protestation ont eu lieu contre les coupures de courant, de plus en plus longues et fréquentes. Elles provoquent d’importantes pertes de produits frais dans les colmados, les petites épiceries de quartier. Elles paralysent les petites entreprises qui n’ont pas de groupe électrogène et suscitent le mécontentement de la population qui ne peut utiliser de ventilateurs ni de climatiseurs en ces périodes de forte chaleur.

Comment en est-on arrivé là et pourquoi le parti de la libération dominicaine, le PLD, le parti au pouvoir, a-t-il gagné une troisième élection présidentielle consécutive ? Selon Participacion ciudadana, la principale organisation de la société civile, je cite « la dépense publique démesurée et irresponsable à des fins purement électorales a provoqué le plus important déficit fiscal de l’histoire dominicaine » fin de citation.

En d’autres termes, le parti au pouvoir a sacrifié la stabilité macroéconomique pour acheter les élections grâce aux vieilles pratiques clientélistes. On ne peut résoudre le problème sans sanctionner ceux qui l’ont créé, ajoute Participacion ciudadana.

Durant plusieurs mois, Leonel Fernandez a semblé tenté par une nouvelle candidature consécutive, pourtant interdite par la Constitution. Lorsqu’il y a finalement renoncé, sous la pression d’influents secteurs dominicains et de Washington, il a imposé son épouse, Margarita Cedeno, comme candidate à la vice-présidence. Grâce à l’important budget de son bureau de la première dame, Margarita Cedeno s’est construit une popularité fondée sur l’assistanat aux plus pauvres. Après l’élection, elle a demandé, et obtenu du président Danilo Medina, de coordonner l’ensemble des programmes sociaux. Une manière de préparer l’avenir.

« La campagne électorale n’a pas été équitable », soulignait Francisco Alvarez, responsable de Participacion ciudadana peu avant le scrutin. Cette organisation a dénoncé j’ouvre les guillemets « la participation active et permanente du président de la République dans la campagne, accompagné de hauts fonctionnaires, avec du personnel, des véhicules et du carburant payés par l’Etat » fin de citation. Des institutions publiques ont multiplié les distributions d’aliments et d’appareils électroménagers lors de meetings du candidat Medina.

La Fondation Justicia y transparencia (justice et transparence) s’est également inquiétée « des dépenses sans précédent de cette interminable campagne ». Elle a calculé qu’au cours des quatre derniers mois de campagne, les partis politiques ont dépensé au moins 4 milliards 500 millions de pesos (90 millions d’euros), une somme considérable dans ce pays de 10 millions d’habitants.

74,7% du total ont été dépensés par le PLD, le parti au pouvoir, 25,2% par le Parti révolutionnaire dominicain, PRD, principale formation de l’opposition et 0,1% par les quatre candidats « alternatifs ».

Selon l’économiste Bernardo Vega, l’explosion des dépenses publiques au cours des huit premiers mois de 2012 s’explique aussi par la volonté de Leonel Fernandez de préparer sa propre réélection en 2016.

Cet ancien gouverneur de la banque centrale et ex ambassadeur à Washington observe que le déficit entre mai, le mois de l’élection, et août, le mois de la passation de pouvoirs, celui qu’il appelle le déficit de la réélection, a été supérieur au déficit de janvier à mai, celui qui a favorisé l’élection de Danilo Medina.

Au cours des huit premiers mois de l’année, les dépenses en travaux publics, l’une des principales sources de corruption, ont augmenté de 134% par rapport à la même période de 2011. Leonel Fernandez a passé ses derniers mois de mandat à inaugurer des bouts de route, des projets et des édifices, parfois inachevés, pour tenter de faire remonter sa cote de popularité.

La nouvelle victoire du PLD, s’explique aussi par les divisions et la faiblesse de l’opposition. Le PRD, principale formation de l’opposition et membre de l’internationale socialiste, est divisé en deux factions.

Cette division a été habilement entretenue par Leonel Fernandez qui a appuyé en sous main Miguel Vargas, le président du PRD. Miguel Vargas, qui a été impliqué dans plusieurs affaires de corruption, n’a rien fait pour favoriser l’élection du candidat de son parti à l’élection présidentielle, Hipolito Mejia.

Président entre 2000 et 2004, Hipolito Mejia est resté populaire parmi les militants de base. Mais il s’est heurté au rejet des classes moyennes et supérieures qui n’ont pas oublié la corruption et la fin désastreuse de son mandat après la faillite frauduleuse de trois grandes banques en 2003.

Personnage atypique, il s’est fait connaître par son langage fleuri, parfois vulgaire et n’a pas voulu écarter de son entourage plusieurs personnages peu fréquentables.

Quant au parti réformiste social chrétien, la formation conservatrice fondée par l’ancien caudillo Joaquin Balaguer, il a été en grande partie phagocyté par le PLD. Une bonne partie de ses cadres, dont son dirigeant Carlos Morales Troncoso, ont rallié Leonel Fernandez qui leur a distribué des portefeuilles et des sinécures. Danilo Medina a conservé la quasi totalité de ces ministres réformistes.

La sale campagne menée contre Hipolito Mejia par la Force nationale progressiste, un petit parti d’extrême droite allié du PLD, a sans nul doute joué un rôle dans la victoire de Danilo Medina. Fondé par l’avocat Vinicio, Vincho, Castillo, un des plus proches conseillers de Leonel Fernandez, ce petit parti a fait de la lutte contre l’immigration haïtienne son principal cheval de bataille.

Un autre élément a favorisé la victoire du parti au pouvoir : le contrôle de la grande majorité des medias, l’achat massif d’espace, dans la presse, les radios et les chaines de télévision, ainsi que la rémunération de centaines de journalistes pour chanter les louanges de Leonel Fernandez et de son successeur.

L’achat de documents d’identité pour empêcher les sympathisants de l’opposition de voter a été la principale irrégularité dénoncée par le PRD. Cette pratique a provoqué plusieurs incidents violents qui ont fait au moins cinq blessés par balles durant la journée électorale.

La mission d’observation de l’Organisation des Etats américains (OEA) a déploré ces irrégularités ainsi que « la forte ingérence » du président de la république sortant dans le processus électoral. Elle a néanmoins ratifié les résultats officiels proclamant la victoire de Danilo Medina avec 51% des suffrages

C’est à force de persévérance que Danilo Medina a fini par accéder à la présidence de la République dominicaine. Né il y a 60 ans dans une famille modeste dans la bourgade d’Arroyo Cano proche de San Juan de la Maguana, au sud-ouest de la République dominicaine, il a rejoint le PLD dès sa fondation, en 1973, par l’ancien président Juan Bosch. Après des études de chimie et d’économie, il s’est consacré à ce parti qui a évolué du marxisme au centre-droit après la mort de son fondateur.

Député en 1986, deux fois réélu, Danilo Medina a joué un rôle décisif, comme directeur de campagne, dans la victoire de Leonel Fernandez à l’élection présidentielle de 1996. Candidat à son tour en 2000, Danilo Medina a été battu par Hipolito Mejia. En 2004, il a de nouveau dirigé la campagne de Leonel Fernandez, qui a remporté un deuxième mandat.

En dépit d’un pacte entre les deux hommes, Leonel Fernandez a refusé de lui céder la place en 2008 et les relations entre les deux hommes sont devenues glaciales jusqu’à la dernière campagne présidentielle. Après la nomination de son épouse Margarita Cedeno comme candidate à la vice présidence, Leonel Fernandez a activement fait campagne en faveur de Danilo Medina.

Danilo Medina s’est engagé à « continuer ce qui est bien, corriger ce qui est mal et faire ce qui n’a jamais été fait ». Signaux contradictoires : il a promis d’importants changements dans son discours inaugural peu avant d’annoncer un gouvernement dont plus de la moitié des membres appartenait à celui de Leonel Fernandez.

Dès son arrivée au palais présidentiel, Danilo Medina a affiché un style plus modeste et austère que son prédécesseur. A la différence de Leonel Fernandez toujours entouré d’une nuée de militaires et de gardes du corps, il se fait accompagner d’une escorte discrète.

Il a promis de consacrer 4% du produit intérieur brut à l’éducation. Cette obligation constitutionnelle n’a pas été respectée par l’ex-président Fernandez malgré une forte mobilisation de la jeunesse. Le système éducatif dominicain est l’un des plus déficients d’Amérique latine.

Danilo Medina a promis de résoudre la sempiternelle crise électrique d’ici la fin de son mandat. Faite à de nombreuses reprises par Leonel Fernandez durant ses trois mandats présidentiels, cette promesse n’a jamais été tenue. Le service électrique dominicain demeure l’un des plus couteux et des plus déficients de la région et constitue l’un des principaux obstacles à la compétitivité des entreprises.

Le nouveau président a annoncé des mesures contre la criminalité qui a fortement progressé en liaison avec le rôle croissant de la République dominicaine comme plaque tournante du trafic de cocaïne en provenance d’Amérique du sud et à destination de l’Europe et des Etats-Unis.

Il a promis une revalorisation du traitement des policiers, dont le salaire de base n’est que de 5.500 pesos, soit 115 euros par mois, alors que certains hauts fonctionnaires dominicains sont parmi les mieux payés du monde.

Le nombre de militaires et de policiers impliqués dans la criminalité et les trafics n’a cessé d’augmenter. Le nombre alarmant d’exécutions extrajudiciaires, 289 l’an dernier, dans ce pays où la peine de mort est théoriquement abolie, n’a pas enrayé l’explosion de la délinquance.

Pour dynamiser la croissance, le président Medina mise sur le tourisme. Son objectif est de faire passer le nombre de visiteurs étrangers de 4 millions l’an dernier à 10 millions dans dix ans. Il compte aussi sur le marché de la république voisine d’Haïti, deuxième destination des exportations dominicaines. Il a proposé la signature d’un accord de libre échange à son homologue haïtien Michel Martelly, présent à sa prestation de serment.

La relation avec Haïti, qui partage l’île d’Hispaniola avec la République dominicaine, est l’un des principaux enjeux de la politique extérieure. Historiquement complexe, cette relation a souvent été conflictuelle. Je m’en tiendrai ici à son évolution depuis le terrible séisme du 12 janvier 2010, qui a dévasté Port-au-Prince et tué plus de 250.000 personnes en Haïti. Le président Fernandez et la population dominicaine ont été les premiers à se porter massivement au secours de leurs voisins haïtiens.

Cette solidarité, souvent spontanée, de simples citoyens, a contribué à effacer les préjugés réciproques. Les autorités dominicaines ont multiplié les interventions auprès de la communauté internationale pour que les promesses d’aide à la reconstruction d’Haïti soient tenues. Leonel Fernandez est apparu sur la scène internationale comme un avocat au service de son voisin plongé dans l’adversité.

Bien sûr, les entreprises dominicaines ont légitimement cherché à tirer profit des marchés de la reconstruction. Mais, cette image positive a été entachée par un scandale de corruption impliquant l’un des plus proches collaborateurs de l’ex président Fernandez, le sénateur Félix Bautista. Ce scandale binational a provoqué la démission du premier ministre haïtien Garry Conille, qui avait découvert le pot-aux-roses.

Jean Max Bellerive, le prédécesseur de Garry Conille, avait attribué huit contrats de construction, en une seule journée, le 8 novembre 2010, pour un montant de 385 millions de dollars à trois compagnies appartenant au sénateur Félix Bautista. Une commission d’audit formée par Garry Conille a jugé que l’attribution de ces contrats, financés par des fonds vénézuéliens, avait été irrégulière et portait préjudice aux intérêts de l’Etat haïtien.

Selon des documents comptables que nous avons obtenus avec la journaliste d’investigation dominicaine Nuria Piera, le président haïtien Michel Martelly a reçu des versements, en chèques et en liquide, d’un montant de 2.587.000 dollars d’entreprises appartenant au sénateur Félix Bautista et à ses proches.

Ancien tailleur, Felix Bautista est devenu l’un des principaux contributeurs du PLD, le parti au pouvoir à Saint-Domingue, dont il est secrétaire à l’organisation. Ses entreprises ont prospéré grâce aux juteux contrats de travaux publics attribués par l’Office de coordination des travaux de l’Etat qu’il a longtemps dirigé. Considéré comme un fils par Leonel Fernandez, Felix Bautista a accumulé une fortune d’une ampleur telle qu’il confiait récemment à un journaliste en ignorer le montant.

Depuis le retour au pouvoir de Leonel Fernandez en 2004, ses affaires ont rapidement prospéré en République dominicaine et se sont étendues à Haïti et à Panama. Mis en cause dans plusieurs affaires de malversation et de détournement de fonds publics, et pour l’attribution d’un contrat de gré à gré à une entreprise du narcotrafiquant Figueroa Agosto, Félix Bautista a échappé à la justice, contrôlée par le président Fernandez. Il jouit d’une immunité parlementaire depuis son élection au Sénat en 2010.

En janvier dernier, à l’occasion du deuxième anniversaire du séisme, le président Fernandez a inauguré à Limonade, près du Cap-Haïtien, une université « donnée » par la République dominicaine à Haïti. Derrière ce geste largement salué, se cachaient une fois encore les intérêts de Felix Bautista et de son associé Micalo Bermudez, un autre homme de confiance du président Fernandez. Son entreprise, Constructora Mar, a obtenu le contrat de construction.

La récente relance de la commission mixte bilatérale, en sommeil depuis plusieurs années, répondait au souci de Saint-Domingue de développer le commerce avec Haïti, devenu le deuxième marché des produits dominicains après les Etats-Unis.

Mais l’épineux dossier migratoire n’a pas été évoqué, du moins publiquement. La République dominicaine s’est pourtant de fait rappeler à l’ordre par le comité des droits humains de l’ONU à propos des discriminations dont sont victimes les immigrants haïtiens et leurs descendants.

Les organisations de défense des droits de l’homme dénoncent de nombreux cas de « dénationalisation » de Dominicains d’origine haïtienne qui menacent de transformer des dizaines de milliers de personnes en apatrides. Leonel Fernandez a confié la direction de la migration à un dirigeant de la Force nationale progressiste. Ce choix a été ratifié par Danilo Medina. Comme si on confiait en France la direction des affaires migratoires à un responsable du Front national.

La nouvelle constitution promulguée en 2010 a mis fin au jus soli et son application rétroactive permet aux autorités de dépouiller de leur nationalité de nombreux descendants de migrants haïtiens nés sur le sol dominicain. Sous la pression de la hiérarchie catholique, la nouvelle constitution de Leonel Fernandez a également interdit toute forme d’avortement, y compris lorsque la vie de mère est en danger ou en cas de viol d’une adolescente.

Depuis un quart de siècle que je vis en République dominicaine, j’ai été témoin de changements impressionnants. Ce pays qui était alors le secret le mieux gardé des Caraïbes s’est ouvert au monde. Les investisseurs étrangers ont afflué, Espagnols dans le tourisme, Canadiens dans le secteur minier, et Français comme Orange dans les télécommunications ou Alstom pour la construction du métro.

Le laxisme et la corruption des autorités ont aussi attiré les blanchisseurs d’argent sale, pour des montants considérables, estimés à plus d’un milliard de dollars par an. Le tourisme a exposé la société dominicaine au regard de millions de visiteurs.

La capitale s’est hérissée de tours, et de grands centres commerciaux, au point que lors de la fête nationale, le 27 février dernier, le président Fernandez se félicitait de voir Saint-Domingue ressembler à un petit New York. La population dominicaine a doublé en moins de trente ans. La migration a créé une diaspora dynamique, aux Etats-Unis et dans une moindre mesure en Europe, dont les transferts de fonds et l’influence ont contribué à changer le pays.

Il y a 25 ans, alors que régnait encore Balaguer, l’héritier du dictateur Rafael Leonidas Trujillo, le PLD de Juan Bosch représentait l’espoir d’une gestion publique moins corrompue. Mais l’appât de l’argent, la corruption de la justice, la soif de pouvoir et le pragmatisme ont fait oublier les enseignements du professeur Juan Bosch.

Les douze ans de présidence de Leonel Fernandez n’ont pas résolu la crise énergétique ni construit un Etat honnête et efficient. La corruption s’est étendue et sophistiquée.

L’héritage trujilliste de l’autoritarisme, de la flagornerie, du culte du chef et du népotisme perdure. Rien n’a été fait pour réduire le nombre d’armes en circulation alors que l’épidémie de féminicides s’étend. Le gouvernement dominicain n’a pas fait de proposition alternative face à l’échec de la guerre contre la drogue, un des défis majeurs qu’affronte la région avec le réchauffement climatique.

Pourtant l’espoir demeure. La mobilisation d’une partie de la jeunesse contre la corruption et en faveur de l’environnement et de l’éducation est encourageante. Danilo Medina a promis de corriger ce qui est mal et de faire ce qui n’a jamais été fait. Comme la présidente brésilienne Dilma Rousseff, il lui faudra affronter de puissants intérêts au sein même de son parti.

La République dominicaine dispose de multiples avantages comparatifs gaspillés en raison de la corruption d’une grande partie de sa classe dirigeante et de la déficience de son système éducatif. Outre son emplacement géographique, son climat, la beauté de ses paysages et la richesse de sa terre, la République dominicaine, l’un des pays les plus métissés du monde offre un exemple de tolérance dans un monde où les conflits ethniques et religieux sont loin d’avoir disparu.

Je vous remercie pour votre attention

La République dominicaine en mal-développement par Jean-Michel Caroit

La République dominicaine en mal-développement par Jean-Michel Caroit Saint-Domingue, correspondant La croissance y est l’une des plus élevées d’Amérique latine mais la pauvreté ne recule guère. Et l’éducation est toujours mal notée RAMON ESPINOSA/AP

La nécessité de changer de modèle de développement et de mieux redistribuer les fruits de la croissance est l’un des seuls points sur lesquels s’accordent les candidats à l’élection présidentielle du 20 mai en République dominicaine. Derrière les plages bordées de cocotiers qui attirent 4 millions de touristes chaque année, plus de 40 % de la population vivent sous le seuil de pauvreté. La misère a à peine reculé, bien que le taux de croissance du pays soit parmi les plus élevés d’Amérique latine et des Caraïbes depuis vingt ans (4,5 % en 2011). Les taux de mortalité infantile et d’exclusion scolaire sont parmi les plus hauts de la région. Importante plaque tournante de la cocaïne sud-américaine vers l’Europe et l’Amérique du Nord, la République dominicaine est en proie à une criminalité croissante. La corruption de nombreux juges favorise l’impunité des criminels, qui bénéficient souvent de la complicité de policiers.

L’archétype de la corruption

Les inégalités se sont creusées entre les masses appauvries des campagnes ou des bidonvilles et la caste liée au pouvoir qui exhibe des richesses souvent mal acquises. Au centre d’un scandale de corruption qui s’est étendu en Haïti, au Panama et au Pérou, le sénateur Félix Bautista est l’archétype de cette accumulation vertigineuse. Sans le sou il y a seize ans, ce proche du président Leonel Fernandez est aujourd’hui à la tête d’une fortune dont il dit ignorer le montant. Les accusations de corruption, l’achat de responsables de l’opposition et la dénonciation de complots imaginaires sur la base d’écoutes téléphoniques illégales ont marqué la campagne, sur fond de caravanes rivalisant de décibels. Le Parti de la libération dominicaine (PLD, centre droit, au pouvoir) et le Parti révolutionnaire dominicain (PRD, social-démocrate) n’ont cessé de s’accuser de mener " une sale campagne ", où les " boules puantes " ont remplacé l’exposé des programmes. A ce jeu, le candidat du PLD, Danilo Medina, a bénéficié des ressources de l’Etat et du soutien actif du président Fernandez, qui a multiplié les inaugurations de chaussées fraîchement asphaltées. Ne pouvant se représenter à un troisième mandat consécutif – il a été président trois fois, 1996-2000 puis 2004-2008 et 2008-2012 -, il a imposé son épouse, Margarita Cedeno, comme candidate à la vice-présidence du PLD. Grâce à l’important budget de son " Bureau de première dame ", la candidate s’est construit une popularité fondée sur l’assistanat aux plus pauvres. Le déséquilibre des moyens au profit du parti au pouvoir a été documenté par l’organisation citoyenne Participacion ciudadana. En janvier 2012, le PLD a dépensé 69,72 % des quelque 59 millions de pesos (1,2 million d’euros) investis par l’ensemble des partis dans l’achat d’espace à la télévision, à la radio et dans les journaux. Le PRD arrive loin derrière avec 20,28 %, et le reste se répartit entre de petites formations alternatives. Ces chiffres n’incluent pas les dizaines de milliers d’affiches mauves, la couleur du PLD, placardées jusque dans les campagnes les plus reculées. Ni la rémunération par le pouvoir de centaines de journalistes pour chanter les louanges du président Fernandez et de son candidat. Danilo Medina se targue de faire une campagne " propre ", promettant de " continuer ce qui est bien, de corriger ce qui est mal et de faire ce qui n’a jamais été fait ". La Force nationale progressiste (FNP), son allié d’extrême droite, se charge de la " sale campagne ". Fondé par l’avocat Vinicio " Vincho " Castillo, l’un des plus proches conseillers du président Fernandez, ce petit parti a fait de la lutte contre l’immigration haïtienne son cheval de bataille.

Soucieux de son image sur la scène internationale, Leonel Fernandez tient un discours modernisateur aux multiples personnalités qu’il reçoit dans sa luxueuse Fondation globale (Funglode). Financée dans une grande opacité par des banquiers et des entreprises, cette fondation concurrence les universités. Lors de ses nombreux voyages à l’étranger, le président Fernandez signe des contrats au profit de Funglode comme s’il s’agissait d’une institution de l’Etat.

Un rapport de Jacques Attali

M. Fernandez avait demandé en 2010 un diagnostic de l’état du pays à Jacques Attali, qui a fait appel à une dizaine d’experts. Facturé 1 million de dollars selon le quotidien El National, le document de 143 pages synthétise les données de nombreux rapports d’organismes internationaux et locaux. Ses recommandations pour lutter contre les inégalités, les déficiences de la santé et de l’éducation, l’insécurité, l’impunité, le manque de confiance dans les institutions ou le clientélisme n’ont guère été suivies d’effet un an après sa publication.

Dans son discours à l’occasion de la fête nationale, le 27 février 2012, le président Fernandez a vanté la stabilité macroéconomique de sa gestion et l’afflux d’investissements étrangers, (2,4 milliards de dollars en 2011). Il s’est félicité de voir, depuis son hélicoptère, Saint-Domingue ressembler " à un petit New York ". Cette comparaison lui a valu les critiques de ses adversaires, qui lui ont conseillé de redescendre sur terre observer la misère des quartiers marginaux et l’absence d’égouts au pied des tours construites par des sans-papiers haïtiens.

M. Fernandez oppose sa " gestion responsable " à la violente crise économique, provoquée par la faillite de trois banques, qui a marqué la fin du mandat du candidat de l’opposition, Hipolito Mejia, au pouvoir de 2000 à 2004. Ce contraste est relayé par son réseau international. Influent chroniqueur du monde hispanophone, l’ancien ministre vénézuélien Moises Naim a fustigé " le populisme et le machisme " d’Hipolito Mejia.

S’il avait visité la République dominicaine peu avant Noël, M. Naim aurait assisté au spectacle de femmes âgées bousculées en tentant d’attraper un des cartons de victuailles distribués par le gouvernement du président Fernandez. La répartition de 1,2 million de cartons a coûté 1 350 millions de pesos (27 millions d’euros) au Trésor public. Plus d’un million de familles pauvres reçoivent une allocation mensuelle de 700 pesos (14 euros) par le biais de la " carte solidarité ". Selon l’opposition, les bénéficiaires qui ne voteraient pas en faveur du candidat du PLD seront menacés de perdre cette carte.

L’hypertrophie de la fonction publique est une autre illustration du népotisme. L’exécutif dominicain ne compte pas moins de 334 vice-ministres. La République dominicaine entretient 384 diplomates aux Etats-Unis, plus que le Brésil ou les six pays d’Amérique centrale réunis.

Leonel Fernandez semble être l’héritier de Joaquin Balaguer : il a modernisé les politiques clientélistes du vieux caudillo conservateur qui gouverna la République dominicaine pendant près d’un quart de siècle, après l’assassinat du dictateur Rafael Leonidas Trujillo, dont il fut un fidèle serviteur. Comme Balaguer, M. Fernandez a investi dans les grands projets, comme les autoroutes ou le métro de la capitale, sources d’enrichissement des proches du pouvoir, plutôt que dans l’éducation ou la santé.

Le revers de l’indéniable " miracle économique " apparaît dans le classement établi par le Forum économique mondial de Davos. La République dominicaine est l’un des pays les plus mal notés en matière de qualité de l’éducation, de corruption et de gaspillage des deniers publics.

Jean-Michel Caroit © Le Monde

 

 

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